Connaissez-vous les ingrédients d’une Saturday night fever idéale pour Julie Roux, traileuse et jeune maman de deux garçons de 1 et 6 ans ? C’est évidemment une course de 82 km s’élançant ce samedi à 23h30 de Saint-Etienne, avec lampe frontale, sentiers boueux/glissants et températures vivifiantes garanties. Cette 70e édition de la mythique SaintéLyon (2.273 m de dénivelé positif) est en effet tout ce dont rêve la Grenobloise, victorieuse en 2023 dès sa première participation (en 6h39), pour conclure son intense saison de trail-running.
« Il y a un an, juste après son succès à Lyon au petit matin, elle avait bu un café avant de filer prendre son train pour retrouver sa vie de famille le dimanche, sourit Xavier Font, manager du Team Salomon. Pour elle, cette course nocturne est même très pratique pour optimiser son organisation. » Car là où une nuit délicate de notre progéniture a tendance à transformer en galère notre semaine au boulot, Julie Roux (30 ans) trouve son équilibre en combinant vie de famille, activité professionnelle dense en tant qu’ingénieure en microélectronique, et résultats de très haut niveau en trail.
« Etre prudent sur l’équilibre entre les trois pôles »
Quel est donc le secret de notre « Wonder Woman » de Laval-en-Belledonne (Isère) ? « J’essaie d’organiser ma semaine au mieux, je me débrouille avec mes congés comme tout le monde, glisse-t-elle en toute simplicité. Je vais surtout m’entraîner du temps de midi, et parfois tôt le matin. Et si je travaille à présent à 80 %, ce temps est dédié aux enfants le mercredi, il ne me permet pas de m’entraîner davantage. »
« Julie a cette capacité à se mobiliser de manière hyper pointue à la fois sur sa gestion de famille, sur son travail à responsabilités et sur sa pratique sportive, observe Xavier Font. Mais il faut être prudent sur l’équilibre entre les trois pôles car des athlètes de 30 ans ayant deux enfants et de telles performances en trail, il n’y en a pas beaucoup. »
Pour ne pas dire aucune, dans un sport où Emelie Forsberg (37 ans), la compagne de Kilian Jornet, avait fait figure de pionnière en devenant maman en mars 2019. Cinq mois après son accouchement, la Suédoise avait dû se résoudre à l’abandon au 76e kilomètre de la CCC (100 km) à Chamonix. Après la naissance de son deuxième garçon Anselme, en juin 2023, Julie Roux a décidé de revenir encore plus vite à la compétition.
De l’équipe de France de kayak-polo à celle de trail
Troisième en septembre 2023 à Serre-Ponçon (30 km) en 3h06, elle n’hésite pas à s’inscrire au prestigieux Grand Trail des Templiers (80 km et 3.530 m de D + au départ de Millau). « Je me sentais en forme donc je me suis dit que c’était peut-être faisable, mais je n’avais plus du tout de repères de compétition », confie-t-elle. Bilan : la plus grande victoire de sa carrière en 7h58, seulement trois mois et demi après avoir eu son bébé, puis donc la SaintéLyon remportée dans la foulée (cinq mois après la naissance d’Anselme).
Un doublé phénoménal, à l’image de sa véritable arrivée dans le monde du trail élite en 2019. Car avant de dévaler avec succès les sentiers de montagne, Julie Roux était surtout membre de l’équipe de France… de kayak-polo entre 2010 et 2018, essentiellement lorsqu’elle résidait dans la région montpelliéraine. Il n’y a a priori guère de connexions entre ce sport co méconnu, sorte de water-polo à bord d’un kayak avec un but situé en hauteur, et le trail-running. « J’ai toujours aimé courir, dès les courses d’endurance au collège, annonce-t-elle tout de même. En vivant à Grenoble et en ayant un enfant, ça faisait sens d’arrêter le kayak-polo pour se mettre à fond au trail. »
Julie Roux se révèle en avril 2019 lors des 42 km du Trail de la Drôme, avec une 5e place synonyme de qualification pour les championnats du monde. Et ce seulement six mois après… la naissance de son premier enfant Nino.
« Il fallait juste casser des barrières mentales »
« Je me doutais qu’il était possible de performer après une grossesse. Il fallait juste casser des barrières mentales, et ça s’est réalisé. Ensuite, je n’avais pas fait une course incroyable lors des Mondiaux 2019 au Portugal (14e) mais ça m’a permis d’intégrer l’équipe de France et d’entrer vraiment dans une démarche de performance. »
« Elle est un peu arrivée de nulle part », résume Xavier Font, alors que Salomon l’a signée dans son Team en 2021, après une saison 2020 tronquée en raison du Covid-19. Les perfs de haut vol s’enchaînent pour Julie Roux cette année, d’une 2e place sur le Marathon du Mont-Blanc (90 km) au double sacre Wildstrubel (72 km)-Ultra Pirineu (100 km) ces deux derniers mois. Le tout en s’appuyant en moyenne sur des volumes d’entraînement hebdomadaires de 10 à 12 heures à peine.
« C’est difficile mentalement de ne faire que du trail »
« C’est une fierté car je me rends compte que beaucoup de traileuses repèrent les parcours, qu’elles prennent le temps de les faire avant et qu’elles ont davantage d’heures d’entraînement que moi, note l’intéressée. » Si de rares athlètes vivent à 100 % du trail, Julie Roux apprécie sa triple vie ainsi.
« Pour certains athlètes, c’est difficile mentalement de ne faire que du trail. Je ne sais pas trop si j’aimerais cette vie-là. Quand tu es moins en forme, le moral est plus impacté. Ça me demande de l’organisation mais ça m’enlève aussi une pression. Si je fais une mauvaise course samedi, tant pis, ça ne va rien changer à ce que je ferai lundi matin. Ça a ses inconvénients et ses avantages, enfin à condition de ne pas faire 50 heures au boulot par semaine quand même. En tout cas, ça me fait du bien d’aller au travail et de voir des gens qui n’en ont rien à faire du trail. »
Ce détachement est à n’en pas douter une force pour Julie Roux, tout comme le fait de partager sa vie avec Edouard Laudier, traileur de niveau national. A l’image des UTMB World Series, qui ont présenté l’an passé une nouvelle politique pour affirmer leur « volonté profonde de soutenir les futures mères et leur partenaire », le trail bouge sur la question de l’accompagnement des grossesses.
L’UTMB n’est pas (encore) dans ses envies
« C’est sûr que les mentalités évoluent, apprécie Julie Roux. Après, il faut encore faire rentrer dans beaucoup de têtes que la grossesse n’est pas une maladie, qu’on peut continuer à faire plein de choses, et qu’on ne va pas être out pendant quinze ans. Pendant mes grossesses, je ne pouvais pas faire une sortie sur des sentiers sans prendre une remarque… »
La voie est-elle toute tracée vers l’ultra-trail et une première participation à l’UTMB (171 km) ? « C’est vrai que je rallonge petit à petit mais pour le moment, je ne me sens pas encore prête pour faire une course aussi longue. » Elle s’imagine par contre sur la CCC (100 km) à Chamonix en août 2025. Mais avant ça, il y aura « une longue coupure… avec à fond du ski durant l’hiver ». Avec Julie Roux, le repos reste toujours relatif, vous l’aurez compris.